Sur le placenta et les mères toxiques
Jeudi midi, comme tous les jeudis de cet automne, je suis allé au cycle de conférence sur les frontières entre l'homme et l'animal. Une conférence y était donnée au titre fort intrigant il est vrai de:
"Nature contre culture ou le pouvoir animalisant de la viviparité"
...
Bon. Je n'avais pas lu le titre avant d'y aller. Mais je me retrouve assis en face d'une femme belle et séduisante dans son mouvement et sa gestuelle, sa voix et son habillement. Elle est toute en rouge et noir, un peu de gris anthracite dans ses bas rayés, avec des bijoux fins et clinquants. Moi j'étais un peu choqué - mais amusé aussi - parce que le rouge et le noir dans la tradition du candomblé, de l'umbanda et de la santeria sont des couleurs consacrées à l'Orixa toute particulière d'Elegbara... Mais bon, ça s'annonçait bien. La dame est psychiatre et ethnologue, on a tout pour s'entendre.
Manque de pot la dame commence à lire son texte. Je déteste ça. Quand je me déplace pour écouter une personne j'attends d'elle qu'elle me parle; pas qu'elle me fasse une lecture. Une lecture dense et impressionniste autour d'une vague idée que les vivipare seraient "supérieurs". Je ne sais pas dans ce pointillisme si elle le pense, si elle analyse ou si elle le croit... J'ai de la peine à suivre son fil. Bon, elle fait un effort, elle sort de son texte et nous parle d'un mec bourgeois coincé à 4 pattes pour aller chercher sous le canapé le petit chien qu'on avait offert à son fils alors qu'il avait juré de ne jamais avoir d'animaux à la maison (le petit chien s'était caché sous le canapé). Bon ça me fait sourire, sans plus, mais c'est mieux que d'essayer de comprendre la lecture de son texte pointilliste. Texte dont elle reprend aussitôt la lecture. J'essaie de m'accrocher, de prendre des notes; mais j'en prends très peu. En gros, cette belle quinqua blonde aux yeux perçants et métalliques nous dit que l'occident c'est la stérilisation de la femme, que la femme est médicalisée de la puberté jusqu'à la ménopause, que nous avons horreur de la reproduction naturelle et que nous tendons vers Le meilleurs de Mondes d'Huxley où "les enfants sont fabriqués en flacon et les humains civilisés ne sont plus assujettis à la reproduction naturelle, c'est-à-dire à la viviparité perçue comme une infâme chose du passé ne survivant plus que dans quelques réserves de sauvages" (...1). Et que l'homme (le mâle, entendez) n'est finalement qu'un parasite dans cette procréation par les "tissus de la mère". Bon d'accord, on en est pas encore là et un certain nombre de femmes occidentales insistent pour accoucher chez elles.
Ensuite on comprend que la seule planche powerpoint projetée à l'écran avec des titres de films de science fiction sont des clips montrant la reproduction des aliens en train de pèrocréer ou "d'accoucher". Marika Moisseeff - c'est son nom - nous annonce la couleur de la suite de sa conférence : ce sera gore. Bon. Pour nous introduire à la suite elle fait passer dans les rang une reproduction en caoutchouc rose-saumon de l'alien "qui est une femme sans clitoris" nous précise-t-elle. Je regarde la face de la chose et effectivement je me trouve en face d'un vagin grandeur presque nature, ouvert, parfaitement bien sculpté dans cette matière et, c'est vrai, sans clitoris. Je passe la chose à ma voisine qui s'empresse de la passer à la sienne. Je regarde faire les autres pendant que la conférencière reprend un coup la lecture de son texte, comme ça pour le plaisir. Je ne vois personne vérifier l'absence de clitoris sur la chose gore.
Enfin elle nous balance une rafale de clips choisis par elle même sur les passage les plus gores et sex du cinéma hollywoodien de science fiction, viol compris : dans Alien, La Mutante, XTRO et Starship. Elle n'a pas le temps de tous nous les passer.
L'assistant de service lui rappelle les contraintes du temps et la discussion est ouverte. Une étudiante au fond de l'amphi s'insurge : "M'enfin qu'est-ce qui vous permet de croire que cet imaginaire de science fiction hollywoodien est un archétype typiquement humain ? Il y a bien d'autres manières de percevoir la reproduction et l'enfantement!" s'indigne-t-elle. La conférencière a vite fait de noyer la question dans l'eau de son bain (c'est le cas de le dire!) dans un long discours pendant lequel j'essaie de rassembler mes idées pour intervenir.
Quelque chose me dérange dans son discours; ça a commencé lorsqu'elle dit au début de son exposé que nous étions issus du "tissus maternel... Comment une médecin-psychiatre et ethnologue peut-elle sortir une image pareille? Dans ma tête résonnent les vieux poncifs de la "mère juive" (et il n'y a pas que les juives dans ce cas-là) s'adressant à sa progéniture : "tu es la chaire de ma chaire..." (sous entendu tu es à MOI parce que que tu es une partie de moi). La mère toxique. Cette croyance judéochrétienne est à la source de nombreuse névroses et autres troubles de la personnalitéc. Je ne suis pas médecin, mais je me souviens de Tobie Nathan il y a quelques années en arrière qui disait dans l'amphi d'à côté que "les petits Africains, eux, ne sont pas fous: ils savent qu'ils ne sont pas la chaire de la chaire de leur mère"; d'où tous les rituels que les pères font avec le placenta et le cordon ombilical. Alors moi j'avais appris en ethno que le placenta est exogène à la mère, mais je n'ai pas fait 7 ans (ni même dix) de médecine. Alors je bredouille une question sur le placenta et son statut, suggérant mon étonnement d'entendre de la bouche d'un médecin une affirmation si culturellement marquée. Je voullais savoir si ça venait d'elle ou du discours dominant (mâle) de la médecine.
Évidemment je me suis fait rabrouer (ou mal comprendre parce que je me suis mal exprimé, c'est vrai). Comment un mâle peut-il parler de choses qu'il ne connaîtra jamais, "je ne vais pas vous faire un cours de physiologie élémentaire", bref, on ne plaisante pas avec les "djendeur studies", surtout quand on est un mâle "parasite". Je rentre chez moi dans le doute et la soif de vérification. Je tombe inmanquablement sur l'article de Wikipedia sur le placenta qui me dit en gros que je n'avais pas si tord:
Le placenta est une annexe embryonnaire [...] Le placenta, chez les mammifères, est constitué par l'embryon et la muqueuse utérine de la mère. Il contient à la fois du sang fœtal et maternel, apporté par des vaisseaux sanguins des deux individus, mais les deux ne sont jamais en contact, séparés par une barrière hémato-placentaire [...].
Le placenta appartient donc à l'embryon et il n'est que nourri par la mère. Mais l'embryon (nous) est bel et bien séparé de la mère; ni lui ni le placenta ne sont à proprement parler des "tissus maternels"...
Voir le placenta en grand - cliquer sur l'image
(âmes sensibles et estomacs mal accrochés s'abstenir...)
Vivement qu'avec les progrès techniques nous puissions nous afranchir de notre viviparité pour devenir, enfin, des ovipares dans le meilleur des mondes !
(...)
voir aussi:
METAPHORES SEXUELLES EN ART ET AU CINEMA
Propos de Yann Minh, recueillis par Karen Guillorel alias Noonk en 2002 pour Chasseur de Rêves, et réactualisé/rectifié/augmenté le 8 octobre 2006 pour le site web.